Elisabeth Engel

Les adultes.

Petites histoires de changements de vie

« Monsieur est réfugié politique. Il se montre triste, timide, et rongé par les scrupules moraux. En situation de divorce, il parle de se suicider. Il avait déjà par le passé, été hospitalisé suite à une tentative de suicide. Après s'être interdit toute rencontre amoureuse, il s'autorise à nouveau une possible rencontre. Il veut laisser tomber le faux, le timide, le sérieux, pour le nouveau, plus affirmé plus « volage », plus festif. Il a décidé d'acheter de nouveaux meubles pour sa maison, même si ce nouvel investissement lui aurait paru superflu, il y a quelques temps encore.
Dans « ma révolution » comme il l'appelle, il décide d'inviter pour son anniversaire ses premières relations françaises, ses premières collègues, deux femmes françaises et son meilleur ami issu du même pays d’origine que lui; renouant avec ses racines, mais ancrant ainsi sa terre en France. Dans le même temps, il décide de prendre des cours de français qui lui permettront d'accéder -il l’espère- à un emploi à la hauteur de ses qualifications.

Madame est d'origine étrangère, marquée par une enfance dans un milieu très pauvre, dont elle a honte. Elle a des projets, mais s’interroge sur leur bien fondé. Est-ce qu’elle en « demande trop »? Est- elle est « trop ambitieuse»? Elle souffre de phobies obsessionnelles de vérification, le vit comme un élément de folie et n’en parle à personne.
Madame vient en consultation depuis quelques mois. Les premiers signes d'un changement se font sentir. Elle s'autorise enfin à « dire ce qu'elle pense » à tout le monde, aux collègues, au patron.
Une phobie de l'avion l'empêche de retourner dans son pays d’origine. Elle décide de partir quand même et de se montrer telle qu'elle est à sa famille, dans ses peurs et ses doutes. Elle revient de ce voyage enchantée, se redécouvre, en paix avec elle-même. Elle se met à l'écriture. L'année dernière, encore, elle déchirait tout ce que elle écrivait. « Maintenant, je suis contente de ce que j'écris. J'écris ma vie, mes pensées, mes émotions». Elle parle un français peu élaboré et je reformule tout ce qu'elle me dit pour être sûre de ce qu'elle souhaite m’exprimer.. Elle consacre beaucoup de son temps à travailler dans un magasin. Le gérant veut lui revendre l'affaire. Elle me dit «Est- ce que ce n’est pas trop en vouloir? Pourtant j'ai envie. » Je lui réponds « Non ce n'est pas trop, si vous en avez envie. »

Madame vient me voir dans un état de surexcitation et de grande confusion.
En quelques entretiens, elle semble appréhender différemment ce qu’elle vit. Elle interrompt brutalement les rendez-vous, sans explications. Nous nous recroisons par hasard, elle est ravie de me revoir. Elle s’empresse de me dire : « Je vais mieux. J'ai pris du recul par rapport à mes parents adoptifs. Je m'occupe de moi. Quand ça ne va pas, je lis, j'écris. J'ai maintenant plein de projets pour mon avenir. »

Extrait de « Faire advenir la parole pour des effets dans l’action » Consultation psychologique proposée à des salariés en Chantiers d’Insertion 2005

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